Laurent Fortier règne sur sa contrée, un drôle de pays peuplé de créatures hirsutes, toutes figées dans une étrange mélancolie. Quand on se plonge dans leur regard, on apprivoise ces demi-dieux qui dévalent les nuages à moitié ivres, on sirote de l’arc-en ciel, on broute de l’azur qui mijote dans ses bleus orangers. C’est tout ça qui traîne dans les yeux sans paupières de ces drôles de créatures : des sons, des couleurs, des émotions en vrac qui en font le réceptacle de l’univers tout entier. Mieux qu’au cinéma, il y a derrière ce spectacle qui se grave sur la pellicule de votre œil, un scénario inventé par Laurent Fortier.
Comment décrire ces êtres étranges et sympathiques ? Leur ADN est rudimentaire : c’est de l’acier, de la taule, de la céramique, et deux petites billes exilées sur un visage étrangement expressif. Tout est suggéré, esquissé, fredonné si l’on peut dire à coup d’étincelles dans le fer forgé qui chuinte au contact du chalumeau. « Sculpte-moi une figurine » dirait le petit Prince, et Laurent Fortier s’exécute en donnant vie à ses petites bêtes aux allures de manchots : pas de bras, pas de jambes, juste un corps qui bégaie, qui s’ouvre au monde comme un nouveau-né avec la candeur, la bonté d’une page vierge. Le petit Prince que nous sommes tous, l’enfant qui sommeille en nous, c’est lui que l’artiste convoque quand on part à la rencontre de ses œuvres. Tout est pur, authentique, d’un seul bloc, en un mot : sincère !
Dans ses figurines, il y a bien un côté âge de pierre, un relent de mammouth endormi dont on entend le sourd ronflement. C’est le préhistorien Laurent Fortier qui écrit son histoire, son conte d’Andersen version silex affûté, rugissement de Smilodon de l’Holocène. On retrouve le côté brut du tailleur de menhir dans son acte créatif, c’est son dolmen à lui. Après avoir dégusté un steak de mammouth bien saignant, j’ai interrogé le chef de la tribu pour en savoir un peu plus sur ces créatures. A vrai dire, elles ne sont pas causantes mais foncièrement émouvantes : la préhistoire, ce n’est pas le cul de basse fosse de l’humanité, son fondement rustique, c’est en fait un temps de maturation. C’est là qu’elle se bonifie, entre terre et ciel, au milieu des éléments dans une aventure hautement spirituelle.
Le petit Prince revient à la surface, on frappe à la porte et l’artiste vous invite alors dans son univers féérique connecté aux muses de la technologie : les figurines font le tour du monde en moins de 80 jours, on les retrouve partout sur la planète, dans des forêts, des déserts, à New- York, Paris, Tokyo. Elles prennent la « pose » pour des « selfies » qu’on appelle désormais « selfigurines » ! Et il faut bien le dire, elles jouent un peu les stars sur Facebook. Mais croyez-moi, l’essence de cet art brut, c’est comme le pétrole qu’on met dans sa voiture, on peut le voir comme un moyen de faire avancer un bout de ferraille ou comme un moyen de voyager bien plus loin, bien plus haut, bien au delà de vos rêves.
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